vendredi 23 avril 2010

Les tons en chinois

Zhang Yaoli me disait encore au labo cette semaine que selon lui la difficulté quasi insurmontable dans l’apprentissage du chinois est la parfaite maitrise des tons. Selon lui, il n’existe qu’un seul étranger en Chine capable de s’exprimer en Mandarin avec des tons et une prosodie qui ne trahissent pas son origine étrangère, la star Da shan (大山)

Les tons, en termes techniques, c’est utiliser la modulation de hauteur du son pour exprimer du sens. En plus clair, c’est exprimer du sens en mettant son langage en musique. Pour un étranger en Chine, il faut donc apprendre à comprendre une partition. Voici quelques clés.


1) Syllabes isolées

Rappelons qu’en mandarin standard, la prononciation d’une syllabe isolée intègre un aspect musical que l’on appelle le ton de la syllabe. La lecture d’une syllabe écrite en pinyin récapitule l’ensemble de l’information nécessaire à la prononciation de cette syllabe isolée. Par exemple dans běi, le groupement bei correspond à l’aspect phonétique de la prononciation, l’accent en forme de V sur le e indique le ton. 

En mandarin standard il existe 4 tons standards pour les syllabes isolées. Chacun de ces tons correspond à un motif musical que l’on peut représenter sur une portée simplifiée :


  • Le 1er ton (阴平) représenté ici en vert est un ton plat et aigu, sans variations de la hauteur du son.
  • Le 2ème ton (上声) représenté ici par la flèche bleue du haut est un ton montant, démarrant à hauteur intermédiaire, et finissant dans les aigus.
  • Le 3ème ton (阳平) représenté par la seconde flèche bleue ressemble à un 2ème ton qu’on aurait cherché à emmener vers le bas en début de son, avant qu’il ne se libère et cherche à rattraper son retard vers les aigues en fin de son. Pour le prononcer il faut commencer par aller chercher les sons les plus graves au fond de la gorge, puis remonter comme un élastique vers les aigus.
  • Le 4ème ton (去声) est une longue descente des sons les plus aigus vers les sons les plus graves.

La hauteur absolue à laquelle est prononcé un ton n’est pas importante, mais les hauteurs relatives le sont. Ainsi le 4ème ton descendant démarre plus haut que le 1er ton, et doit descendre aussi bas que le 3ème ton dans sa partie grave.

Une notation chinoise de la mélodie des tons est souvent effectuée à l’aide des chiffres de 1 à 5. Chacun de ces chiffres correspond à une hauteur de son, 1 est le son le plus grave, 5 le plus aigu. Le premier ton est ainsi noté 44, le deuxième 35, le troisième 214 et le quatrième 51.

A cela il faut rajouter une variation de volume, à peu près identique sur les 4 tons : un rapide crescendo suivi d’un lent decrescendo.

Le site suivant propose une prononciation de toutes les syllabes phonétiques chinoises, avec leurs tons.


2) Liaisons entre deux syllabes

La prononciation des syllabes isolées avec leur ton permet de lire correctement les caractères chinois pris individuellement. Mais dès lors que l’on cherche à prononcer des mots, et non plus seulement des caractères monosyllabiques, il va falloir apprendre à faire la liaison au niveau tonal entre deux syllabes.

Gardons en tête que le ton est l’aspect mélodique de la prononciation des syllabes chinoises. Ils sont définis de façon stricte et unique au niveau des syllabes isolées, mais des variations apparaissent lorsque l’on lie deux syllabes entre elles pour améliorer la fluidité de l’élocution. 

Trois grands types de variations existent.


Le premier type de variations correspond à la difficulté d’enchainer deux « vagues mélodiques » à la suite. Par vague j’entends une descente vers les graves suivie d’une remontée vers les aigus dans un temps unité correspondant à l’articulation d’une syllabe. Ainsi l’enchainement de deux 3ème tons modifie les tons (2 vagues en deux syllabes), l’enchainement d’un 3ème et d’un 2ème ton aussi (2 vagues en deux syllabes), mais pas l’enchainement d’un 4ème et d’un 2ème ton (1 vague en 2 syllabes).

L’enchainement de deux 3ème tons à l’origine décrit par 214-214 devient un 35-214. On dit communément qu’un 3ème ton précédent à un autre 3ème ton devient un 2ème ton. Ex : 法语,美女 ,可以. 

L’enchainement du 3ème et du 2ème ton est aussi modifié, car le 2ème ton est censé démarrer plus bas que le 3ème ton ne finit, ce qui impliquerait une 2ème vague dans l’enchainement des 2 syllabes. Le motif 214-35 est donc transformé en 212-25. Ex : 语言,法国. 



Le 3ème ton est ici tronqué dans sa remonté vers les aigus. Cette existe en fait aussi lorsque le 3ème ton est suivi d’un 1er ou d’un 4ème ton. Le 3ème ton pur n’est donc jamais prononcé dans sa totalité dès lors qu’il est suivi d’une autre syllabe !



Le second type de variations concerne les liaisons avec les 4ème ton. Le 4ème ton est le ton fort du mandarin. C’est le seul ton à explorer l’ensemble de la portée, du plus aigu vers le plus grave. Il est sec, il se différencie nettement des autres, et nous verrons un peu plus tard qu’il rythme la phrase. L’enchainement de deux 4ème tons est lent et oblige à un ralentissement du rythme. Les modifications inhérentes à la liaison avec le 4ème ton seront donc généralement rejetées au problème de la prononciation de la phrase. Certaines modifications apparaissent néanmoins déjà au niveau des mots individuels :

Les variations les plus communes sont celles de 一 ou 不 . 一 (yì dès qu’il ne désigne plus le chiffre 1) et 不 (bù) sont normalement prononcés avec des 4èmes tons, mais cela change lorsqu’ils sont suivis d’un second 4ème ton. Il faut donc alors les prononcer comme des 2èmes tons. Ex : 不对,不会,一定,一个.

Lorsque qu'un quatrième ton apparait en première position dans un groupement de 2 caractères, il sera souvent atrophié, "neutralisé", en un ton bref et sans variations de hauteur. Le meilleur exemple est 第, caractère qui annonce un adjectif ordinal, et apparait donc toujours suivi d'un nombre. 第 est censé être un 4ème ton, mais en écoutant les chinois parler, il est impossible de distinguer ce quatrième ton: il est atrophié. 第一 devient un di continu, 第二 est exprimé avec un di bref en haut de portée, suivi du 二 descendant. Autre exemple: 部队

Les premiers tons dont la hauteur est légèrement inférieure à la haute d’où part le quatrième ton sont légèrement rehaussés pour éviter une montée du son avant la descente du 4ème ton. Ainsi le 家 dans 家电 est prononcé plus aigu, et le son est fluide au passage du 1er vers le 4ème ton. 


Le rehaussement du 1er temps vers les aigus existe en fait aussi lorsqu’il est suivi d’un 3ème, d’un 2ème ton ou d’un ton neutre. C’est pourquoi les diagrammes de tons sont généralement donnés avec un 1er ton en 55. Il existe pourtant indéniablement une différence de hauteur entre un 1er ton prononcé individuellement, et un 1er ton suivi d’une deuxième syllabe.



Le troisième type de transformation est l’apparition des tons léger (轻声) dans la deuxième syllabe. En Français on parle généralement de ton neutre, ou de 5ème ton. L'appellation est trompeuse car en fonction du ton long précédent le long léger, la hauteur de celui-ci ne sera pas identique.On considèrera qu'il existe deux tons tons légers, tous deux prononcés tels des note piquées, courtes et légères, sans variation de hauteur.

Le premier ton léger suit un 1er, 2ème ou 3ème ton. Sa hauteur est intermédiaire, on le notera par 3’. Après un 1er et un 2ème ton, il sonne plus bas que la hauteur finale du ton qui le précède, mais après un 3ème (tronqué) , il sonne plus haut que la hauteur finale du ton qui le précéde.

Le second ton léger suit un 4ème ton. Sa hauteur est basse, au niveau de la hauteur finale du 4ème ton. On le notera 1'.

  • Après un 1er ton : 东西,桌子 55-3’
  • Après un 2ème ton : 头发, 便宜 35-3’
  • Après un 3ème ton : 好了 212-3’
  • Après un 4ème ton : 凳子,似的,豆腐 51-1’





3) Transformation des tons dans la phrase

La phrase. Si la prononciation des syllabes isolées ou des groupements de deux syllabes permet d’exprimer des caractères et des mots isolés, l’aspect pratique de la communication repose dans la phrase, et il faut apprendre à adapter la musicalité des caractères et mots pris individuellement à la phrase chinoise. Si le ton désigne le motif musical de la syllabe, la prosodie désigne la musicalité de la phrase dans son ensemble. 

Plusieurs types d’élocution existent en Chinois. Si la lecture de poèmes chinois doit se faire avec un respect très strict des tons des syllabes et mots individuels, ce n’est pas le cas dans l’expression en langue courante. Des variations importantes apparaissent dans les tons dès lors que l’on lie les mots entre eux dans une phrase, et que l’on accélère le rythme. L’unité musicale n’est plus le caractère ou le mot, mais la proposition, ou le groupement que l’on prononce sans respiration. 

Aurélien a magnifiquement identifié la transformation des tons individuels lorsqu’ils s’intègrent à la phrase. Les trois premiers tons longs deviennent des tons brefs, sans variations de hauteur. Le premier ton est placé en milieu-haut de la portée, en position 3-4, et les 2ème et 3ème tons sont placés en bas de la portée, en position 2. Seul le quatrième ton reste un ton long, et s’exprime dans sa globalité. Le 4ème ton rythme la phrase de ses claquements réguliers. En exagérant un tout petit peu, on peut même essayer de prononcer à la même hauteur les 3 tons brefs, et n’articuler que les 4èmes tons. Certains sinisants ont d’ailleurs bien compris cela et n’apprennent que les 4èmes tons. Un frein malgré tout à cela : le dernier, ou les deux dernières syllabes de la proposition doivent être correctement prononcées, avec leur juste ton long…

Un exemple : 我可以讲法语. Que des 3ème tons. On apprend généralement que les 5 premiers 3ème tons doivent devenir des 2ème tons, par transitivité de la règle de transformation de 3ème ton lorsqu’il précède un autre 3ème ton. La réalité de la chose, c’est que seul le 法 devient un 2ème ton, et les 4 premières syllabes se prononcent toutes sans variations de hauteur, avec des tons brefs. Essayez un peu…

Une nuance à propos du 4ème ton : quand plusieurs 4ème tons sont enchainés dans une même proposition, seul le dernier d’entre eux est réellement appuyé, les autres deviennent des tons neutres, placés tout en haut de la portée. Par exemple 部队, qui doit être prononcé avec deux 4èmes tons très distincts 51-51 lorsqu’il est prononcé individuellement, doit être prononcé 5’-51 dans la phrase. 



Voilà, beaucoup d'analyse aujourd'hui de la "structure musicale" du mandarin oral.  Le but de cette compréhension selon moi est d'arriver à passer à une écoute active du "parlé musical" des chinois, et ainsi  pouvoir mieux s'ouvrir à cette langue tonale. Il ressort en effet que les étrangers qui maitrisent les mieux les tons du chinois sont souvent les mêmes qui ont appris à écouter la musique...

3 commentaires:

olivier a dit…

qui est-ce qui a formalisé la hauteur des tons?
Est-ce que c'est récent?

Mathieu a dit…

Il semblerait que les 4 tons longs du mandarin d'aujourd'hui soient tous une évolution d'un ton particulier ancestral et qui existe toujours aujourd'hui en Cantonnais. Un ton pas vraiment musical rappelant plus un hoquet qu'autre chose.

Après pourquoi ces 4 tons et pas d'autres? Le hasard de l'évolution. Certains dialectes, le cantonnais en premier, se parlent avec plus de tons. Ils ont notamment plusieurs tons plats (comme notre 1er ton), à différentes hauteurs.

Ensuite pourquoi tel ton associé à un caractère plutôt qu'un autre? Pas de raison de sens évidente. Les tons d'un même caractère varient d'ailleurs beaucoup entre le mandarin et les dialectes assez proches du mandarin. D'où certaines incompréhensions à la capitale...

Mathieu a dit…

Une variante par Aurélien: http://en-jaune-et-rouge.blogspot.com/2010/05/la-prosodie-chinoise-racontee-mon-pere.html