samedi 17 avril 2010

Le Wenyan wen (文言文) ou chinois littéraire

Une petite introduction au Wenyan wen qui fait office de réponse à quelques questions qui me sont longtemps restées sans réponses: 

Lors de ma visite de Hong-Kong en juillet dernier, j’avais un peu discuté avec un libraire local de la langue cantonaise. Je me souviens avoir fortement douté de lui quand il m’avait expliqué que le cantonnais était uniquement une langue orale, et que les cantonnais utilisaient le mandarin quand il s’agissait de passer à l’écrit.
J’ai eu la confirmation dernièrement que la langue traditionnelle d’expression des auteurs cantonais n’était effectivement pas le cantonais, pas non plus le mandarin en réalité, mais une langue écrite partagée par tous les lettrés de l’empire : le Wenyan wen (文言文), aussi appelé chinois littéraire.


Dans l’apprentissage d’un nouveau mot chinois, on doit apprendre les caractères qui composent le nouveau mot, la prononciation du mot, les locutions et contextes dans lesquels il apparait, mais aussi son niveau de langage : langage oral (口语) ou langage écrit (书面语). L’emploi de langage oral à l’écrit fait vulgaire, et l’emploi de la langue écrite à l’oral choque encore plus. Les chinois ne manquent pas de me reprendre quand je tente de replacer les nouveaux du jour à l’oral alors qu’il s’agit de langage écrit. La différence entre langage oral et langage écrit existe naturellement en Français, où l’on parle de langage courant ou formel, mais la différence très marquée entre langue orale et langue écrite en Mandarin m’a toujours surpris. 

La raison à cela ? Son origine. Le mandarin écrit est un mandarin formel qui descend du Wenyan wen, une langue bien différente du mandarin oral aujourd’hui. 


J’ai fait beaucoup appel à mes amis et connaissances chinoises pour des recommandations de lecture. J’ai d’abord été surpris par l’absence de réponse spontanée en faveur de tel ou tel bouquin. Il leur fallait absolument une orientation préalable avant de pouvoir me conseiller quelque chose. Je précisais alors : un roman, ou un recueil de nouvelles, une pièce de théâtre, bref, n’importe quelle histoire narrative d’imagination. Ils m’emmenaient alors dans le rayon des œuvres étrangères traduites en chinois. Echec. Je rajoutais donc d’inspiration chinoise à mes critères précédents. Ils pensaient alors tous et unanimement aux grands classiques de la littérature classique chinoise, à commencer par la pérégrination vers l’ouest (西游记) et les 3 royaumes (三国演义). Mais ils m‘indiquaient que ces bouquins étaient à l’origine écrit en Wenyan Wen, et qu’il me faudrait donc chercher une traduction en 白话, ie langue vernaculaire, mandarin d’aujourd’hui. Echec, c’était encore une sorte de traduction. Je précisais donc encore : un roman, ou un recueil de nouvelles, une pièce de théâtre, bref, n’importe quelle histoire narrative d’imagination d’inspiration chinoise et écrite en chinois d’aujourd’hui. Critères qui ne me paraissaient pas particulièrement rigoureux. Je me privais en fait ainsi de la plus grande partie du contenu de la librairie. 

La raison à cela ? Presque tout écrit littéraire antérieur au XXème siècle n’était pas écrit en langue vernaculaire, mais en Wenyan wen, et ce que l’auteur soit pékinois, shanghaiens ou cantonais.


Vous l’aurez compris, le wenyan wen fut le latin de l’empire chinois. La langue de communication écrite des lettrés de l’empire, et ce quelque soit leur dialecte maternel. Et si en France le Français remplaça le latin dès le XVIème siècle, notamment sous l’impulsion de Du Bellay et les poètes de La Pléiade, il aura fallu attendre le début du XXème siècle et des auteurs comme Lu Xun (鲁迅) pour que le même type de révolution de la langue écrite se produise en Chine. Nous ne nous interrogerons par aujourd’hui à la raison d’une révolution aussi tardive, mais nous mesurons tout de suite son impact sur la production littéraire en langue vernaculaire chinoise : elle a moins d’un siècle ! Alors, qu’est-ce qu’on attend pour se mettre au Wenyan Wen ?

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