vendredi 28 janvier 2011

Pensée unique

La pensée unique en Chine, c’est une réalité. Les médias – télés, radios, journaux – sont contrôlés par l’état. Les informations restent très factuelles et les rares colonnes d’opinion sont là pour supporter l’action gouvernementale.

Le gouvernement, c’est le comité dirigeant de cette incroyablement vaste organisation qu’est le parti. Le parti, c’est aussi l’administration – centrale, et provinciale – et les entreprises d’état. Les banques, paramètre important de l’action entrepreneuriale, sont toutes détenues par l’état-parti. Dans ces conditions, un jeune chinois à la recherche du succès dans sa carrière professionnelle a tout intérêt à suivre la voie que le parti a tracé pour lui. 

Les étudiants de Tsinghua forment une partie des futures élites de la république populaire de Chine. Ils sont donc des éléments clés, et l’organisation est bien rodée pour les garder dans le bon chemin. C’est par défaut – et non par choix personnel – qu’ils accomplissent les différentes étapes qui les mèneront jusqu’au statut de membre du parti. Beaucoup de rassemblements, de séances de discussions, de rapports à écrire, etc. Si les rapports ne sont pas dans la bonne ligne, on vous demande de le corriger, et cela se passe bien. Petit à petit, vous devenez formaté, sans vous en rendre compte, 不知不觉. Et vous atteignez finalement le stage de 觉悟, la compréhension. Souvenez-vous, c’était le cas de mon camarade Ye Changliu, l’an dernière.

Mais parfois certains étudiants ne manifestent pas un intérêt suffisant – ou pire, revendiquent une certaine opposition. A partir de ce moment là, c’est l’ensemble du système qui se retourne contre eux, et ils se retrouvent particulièrement isolés. 

En tant qu’étudiant étranger, j’ai évité cette voie d’intégration. J’ai cependant pu ressentir lors d’une occasion particulière l’incroyable pression que l’on peut ressentir lorsque l’on supporte une idée, même intérieurement, seul et contre tous. 

Témoignage (datant de septembre dernier) :

......


Tsinghua, une université qui a décidé que la meilleure stratégie pour affirmer sa position d’université de premier rang mondial était encore de le répéter haut et fort, à soi-même comme aux observateurs extérieurs, jusqu’à ce que chacun soit intimement persuadé de la chose.

Cette semaine des experts internationaux, venu des Etats-Unis, d’Europe et du Japon, rencontraient une sélection d’étudiants doctorants en provenance des deux départements de génie nucléaire de l’université. La sélection d’étudiants s’était faite sur la base d’un volontariat à la chinoise, en fonction des capacités à dialoguer en Anglais. J’avais aussi été convié, bien que non doctorant. 

Les experts internationaux, impliqués dans les domaines académiques et de la recherche, avait été convié par le président de l’université pour, selon leurs propres mots, établir un rapport qui permettrait de prendre les mesures nécessaires pour faire progresser nos deux départements. Progresser pour rejoindre le rang des universités mondiales les plus brillantes. 

Les experts internationaux étaient installés autour d’une table ovale, les élèves étaient placés tout autour de la salle, le long des murs. Une caméra pointait sur les élèves qui prenaient la parole.

Les questions posées furent globalement les suivantes :

  • 1) Que voulez-vous faire après votre doctorat ? Les cours que vous avez choisis correspondent-ils à cet objectif ?
  • 2) La coopération entre les deux départements proposant des majeurs de génie nucléaire est-elle bonne ?
  • 3) La communication entre les étudiants est-elle bonne ? Apprenez-vous beaucoup des interactions mutuelles entre étudiants ?
  • 4) Participez-vous régulièrement à des séminaires, des colloques ? Dans votre direction de recherche, comme dans d’autres ?
  • 5) Avez-vous des problèmes dans votre cursus ? Comment votre cursus pourrait-il être amélioré ? Que pensez-vous que nous puissions recommander au président de l’université pour améliorer vos études ?
  • 6) Pourquoi aussi peu d’étudiantes féminines ?
  • 7) Est-ce une grande difficulté de publier un article de niveau SCI ? Avez-vous des cours vous apprenant à rédiger un article scientifique en Anglais ? Les meilleures parutions chinoises sont-elles au niveau des parutions SCI en anglais ?
  • 8) Y a-t-il des élèves étrangers dans le département ? Voyez-vous en eux des compétiteurs au sein de votre université ? Etes-vous contents de les accueillir ?
  • 9) Espérez-vous travailler en Chine ou à l’étranger dans votre future carrière ?
Je me concentrerai sur les réponses aux questions 3, 5 et 8.

A la question 3, tous répondirent : « Oui, la communication est excellente, nous apprenons beaucoup des autres étudiants ». Mais ils se trahirent en s’empressant d’ajouter : « Nous avons des réunions de groupe toutes les semaines ». L’essentiel de la communication scientifique est concentrée dans une réunion de groupe qui a lieu une fois par semaine. Le reste du temps, il n’y a pas de partage. Et pour avoir assisté à des meetings de groupe, je pense que même dans ces moments là, il n’y a pas beaucoup d’apprentissage mutuel. 

A la question 5 : Rien à améliorer. Tout est parfait Les experts voulaient vraiment des réponses à cette question, et l’ont donc répété à maintes reprises. Ce qu’ils finirent par obtenir, c’est l’intervention de Yaoli (un des étudiants de mon professeur) : « Pourquoi voulez-vous que nous ayons des problèmes ou des complaintes ? Si nous en avions, nous en ferions tout de suite part à l’université, et les problèmes seraient tout de suite résolus. Là il n’y a pas de problème, c’est Tsinghua ici, le best of the best ! » 

A la question 8, il a malheureusement fallu que j’entre en scène. Alors que les experts me posaient des questions, je sentais sur moi le regard d’une trentaine de chinois persuadés que leur université était au tout premier rang mondial. « Pourquoi êtes-vous venus ici ? Comment l’université a-t-elle jugé votre niveau en vous acceptant ? Si vous deviez faire votre PhD, le feriez-vous à Tsinghua ? Non, où alors, et pourquoi ? » Imaginez à quel point j’étais embarrassé. En répondant que j’étais venu à Tsinghua avec la principale motivation de rechercher un environnement chinois, sans insister sur le niveau d’excellence de Tsinghua qu’ils revendiquent sur la scène internationale, je sentais que je trahissais le groupe, la caméra, mon prof par étudiant interposé. Terriblement mal à l’aise, j’ai demandé à ne pas répondre pourquoi je pensais qu’il serait plus intéressant de faire un PhD en France ou aux Etats-Unis. 

Avant de quitter la salle, les experts demandèrent au groupe s’il y avait des questions. « Comment rédigerez-vous votre rapport ? » demanda un étudiant. Un des experts répondit que le plan initial était d’utiliser les témoignages de cette discussion avec les étudiants pour rédiger une série de recommandations au président de l’université. Mais malheureusement devant la pauvreté des témoignages, ils allaient devoir revoir leur stratégie.

Zhang Yaoli qui avait affirmé que bien sur aucun élève n’avait de complainte ou requête est sorti de la salle en affirmant : « Ces experts, ce sont vraiment des branleurs, ils sont venu sans rien avoir préparé, ça n’a servi à rien ! »

Oui, ça n’a servi à rien.

4 min 15 à 176°C:

Les conditions de rendement maximal de la synthèse de l'acide acétylique?

Le record humain de résistance aux hautes températures?

Non, les recommandations de réchauffage des nuggets de poulet surgelé ! 


Qui a dit que les chinois ne faisaient pas dans l'exactitude?

mercredi 26 janvier 2011

Mah-jong

Nous fêtons aujourd’hui en Chine la Petite Année, 小年, rassemblement festif qui marque le début des festivités du nouvel an Chinois. Dans une semaine jour pour jour commencera la nouvelle année du calendrier lunaire.

Cette période du nouvel an Chinois est vraiment une période particulière en Chine. Les activités professionnelles cessent. Tout ceux qui travaillent loin de chez eux retournent dans leur foyer. Les familles sont réunies, les cœurs sont apaisés. Tranquillité d’esprit, mais l’agitation ne cesse pas pour autant. Les feux d’artifice ne tarderont pas à illuminer le ciel, et surtout, on ressort les tables de Mah-jong.

Le Mah-jong (麻将) est un jeu traditionnel Chinois. Quatre joueurs s’affrontent autour d’une table carrée. On y joue avec des pièces en forme de dominos, et le but est de former des combinaisons, plus ou moins grandes, plus ou moins compliquées, avec l’ensemble des pièces de son jeu. Parmi les combinaisons les plus simples, on va trouver les triples, trois pièces identiques, parmi les plus compliquées, on va trouver le dragon, une longue suite réunissant toutes les pièces d’une même famille. En fonction de la complexité des combinaisons que l’on réalise dans son jeu, on peut marquer plus ou moins de points lorsque l’on gagne la partie.

Le Mah-jong est un jeu qui se joue vite, qui nécessite de la dextérité dans le maniement des pièces pour impressionner ses adversaires, et pour lequel on joue traditionnellement de l’argent. Cela met de l’enjeu, de la passion, et les parties peuvent durer de longues heures, parfois jusqu’à l’aube du jour suivant ! 

L’université ne nous autorisant pas à jouer au Mah-jong dans le cadre de notre association d’échanges culturels, nous avons pris l’habitude de jouer dans des maisons de thé, ou à la maison. Ci-après deux photos prises chez Laurent, il y a quelques semaines :



samedi 22 janvier 2011

Vous rêvez de parler à la Taïwanaise ?

En novembre dernier je passais une semaine à Taipei. Je découvrais en discutant avec les locaux que les différences entre leur mandarin et celui de Pékin étaient beaucoup plus importantes que ce que j’avais réalisé jusque là. J’ai essayé de recenser quelques unes de ces différences et les ai classé en trois catégories : lexique, prononciation et prosodie.
  • 1) Lexique
Les différences lexicales sont déjà bien présentes dans la langue courante, et sont encore plus flagrantes dans le vocabulaire technique. Ci-dessous quelques exemples issues de la langue courante :


Chine TaïwanFrance
中国 大陸 Chine
Continentale
普通话 國語 Mandarin
自行车 腳踏車Vélo
出租车 計程車 Taxi
公交车 公車 Bus
地铁 捷運 Métro
热闹 Bruyant
可以 ça marche
挺好的 蠻好的 Super
没事儿 沒有關係 Pas de problème
不谢 不會 De rien
发短信 傳簡訊 Envoyer un SMS
邮箱 信箱 Boite mail
屏幕 螢幕 Ecran
信息 資訊 Information
程序 程式 Programme
软件 ,硬件 軟體,硬體 Software, Hardware
厘米 公分 cm
公尺 m
百分之 %
太过分 太誇張 Exagéré
土豆 馬鈴薯 Pomme de terre
取钱 領錢 Retirer des sous
Merde
空调 冷氣 AC
质量 品質 Qualité

  • 2) Prononciation
Le erhua est à proscrire absolument ! Il n’est jamais présent. De plus les r et autres rétroflexes se font sans courber la langue vers le fond de la gorge, en allant simplement toucher le pont alvéolaire avec la pointe de sa langue.

Les G en fin de mot sont souvent oubliés. Éviter de parler de 高信誉. 

Les E et N sont bien séparés dans les syllabes en –eng. C'est pertinent avec la remarque du dessus. 

Et puis les h sont très très légers, c’est la marque du Sud ! Ne croyez tout de même pas qu’il suffit de les oublier, vous sonneriez Singapourien, pas Taïwanais ;)
  • 3) Prosodie
Rythme : Prenez votre temps, les taïwanais parlent plus doucement que les pékinois. J’ai aussi remarqué un ralentissement sur les derniers mots de certaines phrases.

Contractions : Mais ils font parfois des contractions : 这样 peut se contracter en jiang4 à l’oral, par exemple. Le u dans 不然 peut être omis. Le ch en début de cheng dans 計程車 est avalé. Etc. 

Tons : Les accents neutres de fin de mots dans le mandarin de pékin sont souvent prononcés avec un ton long à Taiwan. Ex : 頭髮. Pas mal de tons sont aussi prononcés différemment de ce coté du détroit : 法4ème ton, 亞3ème ton, 質 3ème ton, etc. Certains tons sont aussi modifiés par les jeunes. Pour faire jeun’s ! 

Les sons de fin de phrase (尾音) : Très employés par les Taïwanais, à forte consonance de 喔,啦,耶, qui viennent s’ajouter et remplacer les traditionnels 啊 et 呀. On entend aussi des 喽, mais pas encore entendu de 呗.

vendredi 21 janvier 2011

Graduation : 2 mois de procédures

A la mi-novembre dernière, après de longues semaines de dur labeur consacrées à la rédaction et à la mise en page de ma thèse, celle-ci était enfin prête à être remise aux professeurs relecteurs. Je lançais ainsi la longue procédure d’évaluation de mon travail de recherche qui devait me mener à la cérémonie de remise des diplômes, deux mois plus tard. Je ne reviendrai pas sur les détails de cette procédure, peu intéressants, mais présenterai ici les facteurs qui ont fait de cette période une période psychologiquement difficile. 
  • Facteur n°1 : La menace
Entre la carotte et le bâton, Tsinghua a choisi le bâton. Chacune des étapes ponctuant la procédure de graduation est réglementée par une notice qui n’oublie jamais la traditionnelle mention « pour éviter de remettre en cause votre graduation ». Là où le bât blesse, c’est que les étapes en question ne sont pas forcément réalisables par le candidat. Je pense notamment à des documents à faire signer par des personnes absentes, un abstract de 3000 mots à entrer dans un cadre qui n’en accepte pas plus de 2000, un fichier zip à sauvegarder dans un espace qui n’accepte que des doc et pdf, etc. Le résultat, c’est le sentiment que la graduation peut vous voler entre les mains à tout moments sans que vous y puissiez grand chose.
  • Facteur n°2 : L’incertitude, ou l’art de manier le 应该…….吧.
Q : « Bonjour, mon camarade Hongwei a publié à la conférence internationale *** dont le niveau a été jugée suffisant par la commission d’évaluation des diplômes de Tsinghua, et a ainsi obtenu son diplôme en juillet dernier après avoir défendu sa thèse. J’ai publié dans la même conférence, pouvez-vous me confirmer que ma parution sera donc aussi jugée d’un niveau suffisant par la commission d’évaluation. »
A : « Hmm, étant donné que vous êtes soumis aux mêmes obligations, je dirai qu’a priori, votre publication a de fortes chances d’être acceptée »
Q : « Bonjour, une entreprise souhaiterait me convoquer pour un entretien hors du territoire. Je souhaite donc m’absenter durant quelques jours. J’ai consulté le calendrier des formalités et il semblerait que je puisse m’absenter 3 jours entre le **/** et le **/**. Pourriez-vous me confirmer que je ne louperai pas d’étapes importantes du processus de graduation en étant absent ces 3 jours ? »
A : « 嗯,应该没问题的吧 - Hmm, je dirai qu’a priori, ça doit être ok »

Bref, des « Il ne devrait pas y avoir de problèmes », j’en ai entendu beaucoup. Mais des réponses positives franches, bien rarement. Il faut dire qu’à Tsinghua les choses changent vite, avec très peu de préavis, et sans toujours se conformer à la logique ou aux règlements. Dans ces conditions, j’ai été amené à re-rédiger mon article pour le faire publier dans un journal de meilleur qualité, et je n’ai guère osé m’absenter de l’université, trop effrayé d’éventuelles convocations de dernières minutes auxquelles je devrai assister "pour éviter de remettre en cause ma graduation".
  • Facteur n°3 : L’isolement
J’ai accompli l’ensemble de la procédure de graduation seul. Non pas en tant que seul étranger, mais vraiment tout seul. Mes camarades chinois qui avaient initialement l’intention de candidater à la graduation ce semestre ont au final tous repoussé l’échéance au semestre prochain. Or c’est souvent grâce à mes camarades que j’obtenais les informations importantes du département, informations pas forcément bien relayées et/ou perdues au milieu de notices pratiques monstrueuses (Il y a besoin d’une notice de 8 pages pour décrire l’organisation de la cérémonie de graduation par ex). La conséquence de cela, c’est qu’il faut aller chercher l’information soi-même, se faire connaitre auprès des personnes importantes, s’assurer qu’elles ont votre email et qu’elles vous transmettront les informations, lire et extraire les informations importantes des notices, etc. Mais comme le soulignait très justement Grégoire, c’est au final un apprentissage à part entière, et cette aptitude à récupérer l’information pourrait se révéler utile dans le cas d’un boulot en Chine. Le côté négatif, c’est l’impossibilité de partager ses difficultés, car vous êtes seul à les affronter. Psychologiquement, ce fut éprouvant.
  • Facteur n°4 : La différence de standard
Je me souviens aussi être passé par des moments de grande frustration lorsque je me voyais imposer d’aller à l’encontre de ce que j’avais appris à considérer comme bien, ou mieux. J’illustrerai ceci sur un exemple particulièrement frappant. Les sauts de ligne dans un texte permettent par l’insertion d’espace de faire apparaitre divers paragraphes dont la délimitation spatiale reflète une certaine évolution dans la présentation des idées. Des blocs qui commenceraient en haut à gauche de la page de gauche et finiraient en bas à droite de la page de droite, peu adaptés à l’extraction rapide d’information, sont ainsi évités. Bref, l’utilisation de sauts de ligne dans la rédaction d’un rapport est un principe de base profondément ancré au fond de moi après presque 23 ans de standard français. Imaginez donc le sentiment de frustration quand H. Laoshi, très sympathique par ailleurs, m’a exprimé qu’elle ne validerait pas la mise en forme de ma thèse tant que je n’aurai pas supprimé l’ensemble de ces sauts à la ligne.

Pour toutes ces raisons, quand vendredi dernier je reçu enfin mon diplôme de Tsinghua, ce fut avec grande émotion, empli d’un sentiment de soulagement, et de libération. Il n’y avait pas cependant pas de sentiment de fierté. Je le regrette.