Cher papa,
Une semaine en Corée, un blog laissé à l'abandon, un bateau sud-coréen coulé par les nord-coréens... Voici un peu de nouvelles et beaucoup de lecture. Il est 16h21 ici dans l’aéroport international d’Incheon, l’envol de mon avion est prévu dans moins de deux heures. Si je rentrais directement à Paris, j’imagine que tu serais impatient de me demander : Alors la Corée ? Une question banale mais qui plonge souvent le voyageur dans l’embarras. Dimitri me rapportait les propos d’un grand anthropologue : « Sur la Corée, après un jour, on peut écrire un livre. Après une semaine, on peut écrire une page. Après un an, on ne dit plus rien du tout. » Et c’est vrai que samedi dernier en allant me coucher après ma première soirée en Corée, j’aurais pu t’en parler pendant des heures. Mais plus le temps passe, plus on en voit, et plus l’extraordinaire se change en ordinaire. Après plus d’un an d’expérience de la Chine, je me souviens avoir discuté avec Antoine de la réponse standard à donner aux Français nous demandant : « Alors, la Chine ? ». Nous avions adopté : « C’est cool, la vie est pas chère, les filles sont jolies et la bouffe est bonne ». C’est ce que les gens veulent entendre, ça évite de s’embarquer dans de trop longues discussions.
Je me souviens de ma première semaine à Pékin, en cours de chinois à la BLCU. La professeur de chinois nous demandait de présenter les principales caractéristiques de notre pays. Un « Alors, la France ? » un peu caché. Je me souviens avoir été extrêmement désemparé. La France ? La France ? Que dire de la France quand on y a toujours vécu ? Sans la confrontation avec les valeurs étrangères ou l’expérience à l’international, la France fait office de normalité, de règle, de standard. Alors quoi dire ? Je me souviens être resté muet, et avoir laissé la prof répondre : "La France, c’est Paris et le romantisme, la France, c’est la mode et les parfums, la France, c’est la Provence et la plus belle langue du monde".
La semaine dernière encore à la radio j’écoutais une émission abordant le thème des différences culturelles, et ils discutaient précisément du cas des Français. Le tableau était plus proche de la réalité : « Un, les français aiment râler. Deux, ils aiment critiquer. Trois, ils aiment dire ce qu’ils pensent. » Trois points qui se rapportent à deux valeurs très françaises : la sincérité et le cartésianisme. Le présentateur voyait les cultures françaises et chinoises comme opposées sur une échelle des valeurs. Quand le Français prône la vérité, le chinois, ou l’asiatique de manière plus générale, considère l’apparence. De là, il ne recherche pas la sincérité, mais plutôt à préserver l’image qu’il donne. C’est ce qu’on appelle sauver la face. Quand le Français fidèle à Descartes doute de tout, à commencer de ses supérieurs, ses gouvernants, ses amis, et recherche le progrès par la rationalisation, le Chinois fait confiance, suit, essaie, échoue, essaie quelque chose de nouveau, réussit, etc. Les chinois sont empiristes. C’est la méthode de grand-mère appliquée à toute la science. Pas étonnants que les Français soient si bons en maths et que les ponts chinois tombent si souvent. Pas étonnant non plus que la majorité des inventions historiques proches de la réalité quotidienne soient originaires de Chine.
Mais sinon, la Corée ? En un mot, c’est cool. En trois mots, c’est une petite chine moderne. Laisse moi t’expliquer pourquoi.
Tout d’abord les héritages religieux, sociaux et historiques des deux pays sont très proches. Historiquement, la Corée a toujours été très proche de l’empire chinois. Proche, mais pas au point de faire directement partie de l’empire au même titre que les nouvelles provinces régulièrement annexées au fur et à mesure de l’expansion de l’empire vers le Sud ou vers l’Ouest, mais proche car vassale de l’empire. Le roi coréen devait rendre compte à l’empereur chinois, et lui verser un lourd tribut. L’empereur chinois en retour lui promettait sa protection, et lui interdisait d’utiliser le symbole du dragon qui lui était réservé. Les échanges entre les deux pays ont été moteur d’une mise en commun des cultures, des traditions, de l’écriture, à l’image du confucianisme, du bouddhisme, et des caractères chinois.
La doctrine de Confucius qui a été la théorie politique et sociale dominante dans l’empire du milieu jusqu’au XXème siècle l’était tout autant en Corée. La société coréenne est encore profondément confucianiste aujourd’hui, les aspects les plus visibles étant le respect de l’étiquette resté intact, et le respect des gouvernants. La Corée a beau être une démocratie dans les textes, cette démocratie ne ressemble pas beaucoup à la notre. A une vie démocratique faible est associé un nationalisme poignant. Tout comme le chinois, le coréen veut montrer bonne figure au monde entier, et ne supporte pas entendre un étranger parler de son pays avec une vision différente de l’image qu’il a voulu donner. Malgré la démocratie, la Corée n’est pas plus le pays des libertés que la Chine.
A l’image du Confucianisme, le bouddhisme qui s’était introduit en Chine avant l’avènement du premier empereur Qin Shihuang, s’est répandu jusqu’à l’extrême Est du continent asiatique durant les siècles suivants. Le bouddhisme est rapidement devenu religion nationale, et l’est resté jusqu’au XXème siècle. Une seconde religion a aussi été introduite en Corée en provenance de Pékin : le christianisme. Les Jésuites eurent en effet une influence très grande sur l’empereur chinois dès le XVIème siècle. Aujourd’hui on peut grossièrement considérer que la moitié de la Corée est chrétienne, la seconde moitié bouddhiste. La différence avec la Chine est flagrante. D’une part les reliques religieuses n’ont pas subi la révolution culturelle, d’autre part les coréens sont encore croyants et pratiquants.
Après le confucianisme, après le bouddhisme, le troisième grand apport de la Chine vers la Corée fut les caractères. Les coréens qui n’avaient pas adopté de système d’écriture cohérent adoptèrent durant la dynastie Tang (618-907) les caractères chinois. Durant les siècles qui suivirent, le chinois devint la langue des élites, et la seule manière de passer à l’écrit. A partir de là, la langue coréenne fut autant influencée par le chinois que l’anglais fut influencé par le français : l’apport lexical est énorme. Aujourd’hui 70% des mots coréens sont d’origine chinoise. Si les coréens adoptèrent un deuxième système d’écriture au XVème siècle pour mettre par écrit les termes d’origine coréenne, les deux systèmes d’écriture coexistèrent jusqu’au XXème siècle. Si étant jeune tu avais essayé de lire un journal en Coréen, tu aurais remarqué le grand nombre de caractère chinois au milieu des phrases. Les enfants coréens de l’époque devaient apprendre environ 2000 caractères chinois à l’école. Si aujourd’hui les coréens n’utilisent plus les caractères chinois que pour écrire leurs noms ou pour faire classe sur une affiche, l’influence est toujours présente.
Confucianisme, Bouddhisme, Système d’écriture. Que du bon ? Les deux pays partagèrent en fait aussi la guerre. Quand les mongols déferlaient sur la Chine, ils ne s’arrêtaient pas aux portes de la Corée. Quand les Japonais décidaient d’envahir la Chine, ils commençaient par la Corée. Ce n’est pas pour rien si le sentiment de haine antijaponais est encore plus fort chez les Coréens que chez les Chinois. Et s’il existe un sentiment de mépris des Coréens envers les Chinois, c’est parce qu’ils ne supportent pas de voir ce qu’est devenu ce "grand frère". « Les chinois ne se lavent pas, ils puent, ils ne sont pas civilisés » m’ont rapporté tous les coréens. En les comparant aux chinois, je faisais affront à leur modernité, pas à leur culture. La Corée du Sud est aujourd’hui un pays très moderne et civilisé. Tu t’y plairais, j’en suis sur. La modernité alliée au style de vie à la Chinoise. Une troisième variante après Singapour et Taiwan. Et tout autant qu’à Singapour et Taiwan, partout tu trouves des food stalls, ces restaurants cheap en plein air où l’on peut profiter d’un large assortiment de snacks (小吃), comme on peut en trouver en chine : soupes, raviolis, etc.
Peut-être as-tu des collègues qui ont déjà travaillé en Corée, ou avec des Coréens ? Malgré tout ce que je viens de te dire, si tu leur demandais si pour eux la Corée est plus proche de la Chine ou du Japon, ils risqueraient bien de te répondre du Japon. C’est en fait le cas dans le monde du travail Coréen.
Après la guerre de Corée et la fin de la dictature, autour des années 70, le pays est prêt à démarrer son développement économique. Les Coréens regardent autour d’eux. A l’ouest, la Chine communiste en pleine révolution culturelle, à l’Est le Japon et ses conglomérats florissants. Qui crois-tu qu’ils aient choisi ? Les Coréens se sont ainsi construit une nouvelle économie de marché axé sur les conglomérats : Samsung, Daewoo, LG, etc. Samsung est aujourd’hui la première entreprise nationale, produisant entre 10 et 20% du PIB coréen en fonction des systèmes de calculs. Dimitri aime raconter qu’en Corée on peut vivre Samsung : De la maternité aux pompes funèbres, Samsung s’occupe de tout. Avec le système des conglomérats, les Coréens ont aussi importé la notion de statut, notion si difficilement acceptée par les occidentaux. Tu rentres dans l’entreprise avec le statut le plus bas, quelque soit ta formation, et tu montes régulièrement dans la hiérarchie au cours de ta carrière que tu feras dans la même entreprise. L’entreprise et la hiérarchie décident de tout pour toi. Le CEO, c’est Dieu. Tous les mouvements sont du haut vers le bas, le subalterne obéit, mais ne soumet pas d’idée ou de propositions. Comme au Japon tu ne quittes pas le bureau tant que ton chef y est encore. Tu ne travailles pas plus, tu essaies juste de mieux étaler ton travail. Contrairement aux idées reçues, les coréens ne sont pas efficaces au travail. Peut-être parce que les heures supplémentaires ne sont pas déclarées…
La culture coréenne poussée par le développement économique s’est donc fortement japanisé aux cours des dernières décennies. Mais rassure-toi, même au niveau économique, les coréens restent des chinois. Si les entreprises japonaises créent et innovent, les entreprises Coréennes suivent le mauvais esprit chinois. Attirer les entreprises étrangères sur le marché national pour mieux se jouer d’elles. Les entreprises étrangères ne peuvent pas entrer sur le territoire coréen sans créer de joint venture et proposer de transferts technologiques. Les entreprises coréennes réutilisent aussitôt ces technologies sous leurs propres noms, et c’est l’enfer pour les entreprises étrangères. Dimitri qui bosse Séoul pour Thalès-Samsung me l’a répété régulièrement. Au sein du même groupe qu’est Thalès-Samsung défense, si ses boss français bossent pour Thalès qui possède plus de 50% des parts du groupe, tous les coréens travaillent pour Samsung ! Dans la même veine, les copies de produit étrangers sont presque aussi nombreuses et tout autant tolérées à Séoul qu’à Pékin.
Alors pour résumer en neuf mots, la Corée, une petite chine qui se serait déguisée en Japon ?
Je te laisse quelques photos en guise de conclusion.
Une touche de tradition sur fond de modernité
Quand ni les talibans, ni les communistes ne sont passés par là, le Buddha tient encore debout
Temps moyen de prière dans un temple bouddhiste chinois: 12 secondes, le temps de faire les 4 flexions.
Temps moyen de prière dans un temple bouddhiste coréen: plus que ma patience
Les food-stalls
Et le cuistot qui va avec!
Louis Vuitton et Dolce Gabbana. Ils auraient pu essayer d'être plus originaux sur les noms...
Comme Tokyo, comme Shanghai, Séoul ne faillit pas à la règle: toujours un petit tour chez Paul pour finir le séjour!