Durant le forum STeLA tous les soirs nous nous réunissions en petits groupes pour une heure de réflexion durant laquelle nous partagions nos sentiments sur les activités de la journée pour en tirer des leçons, des conclusions, des directions de progrès.
Un soir, nous avons discuté longuement de la façon d’exprimer une idée lors d’une discussion de groupe. Nous cherchions à résoudre le problème suivant : aucun de nous, Américains, Japonais et Français, ne parvenions à saisir les idées des Chinois lorsque ceux-ci s’exprimaient en public. Pourquoi ? Le problème ne résidait pas dans la qualité de la langue parlée, il est plus facile de comprendre l’idée d’un japonais s’exprimant dans un anglais très pauvre que l’idée d’un chinois s’exprimant dans un anglais excellent.
La difficulté résidait dans leur façon d’exprimer les idées. Lorsqu’Américains, Français, mais aussi Japonais, annonçons d’emblée notre idée en prenant la parole, avant de l’expliquer et la démontrer à force d’exemples et de raisonnements, le chinois part dans un long discours déstructuré sans conclusion dans lequel l’idée n’est pas exprimée. L’idée directrice est laissée à l’interprétation de l’auditeur.
Au cours de ma conférence à Harbin, j’ai remplacé un de mes camarades du labo pour la présentation de son article. J’ai lu attentivement cet article et je l’ai trouvé clair et plutôt bien écrit. Je comprenais bien les travaux que mon camarade avait effectué, et les résultats qu’il avait obtenu. Un problème majeur persistait cependant : mon camarade n’avait décrit nulle part pourquoi ce travail de recherche avait été effectué, et plus gênant, il ne concluait pas. Malgré mes relances par mail en lui demandant cette conclusion, je crois qu’il n’a pas compris ce que j’attendais de lui et m’a laissé partir à Harbin sans savoir quoi retenir de son travail.
Je suis convaincu que, au moins dans les domaines de la science et du management, une communication qui laisse à l’interprétation est un frein important. Elle ne permet pas aux différents acteurs de s’orienter sur une même direction. Elle ne permet pas le dialogue.
Pendant toute la semaine de forum STeLA, j’étais fermement de retour dans le système de communication à l’occidentale. J’exprimais mon point de vue, que ce soit un accord ou un désaccord, et quelque soit le statut de mon interlocuteur. Celui-ci considérait cet avis avec respect (au moins dans le cas d’une bonne communication) quel que soit nos rangs respectifs et sans avoir eu l’impression d’être challengé. Résultat, sa réponse permettait de faire avancer le dialogue. Ce système de communication permettait un grand brassage d’idée. Il permettait aussi un développement des bonnes idées. Et surtout des idées créatives. La créativité est boostée par cette bonne communication de groupe. Un groupe a l’opportunité, à partir du moment où il communique bien, de créer beaucoup plus vite et beaucoup plus loin qu’un individu isolé. A titre d’illustration, toujours au cours de STeLA, notre petit groupe de travail était considéré comme le groupe ou l’on communiquait le mieux. Cela n’était certainement pas étranger au fait que nous ayons ensuite remporté le prix du meilleur projet de groupe.
Avec mon professeur, c’est l’antagonisme d’une bonne communication. Quand j’exprime une idée, il semble toujours la prendre comme une attaque personnelle. Comme si écouter et accepter une idée d’un élève consistait une remise en cause de son statut, et de ses connaissances. Au cours d’une des sessions de la conférence à Harbin, un petit dialogue a débuté entre le chairman de la session (d’origine finlandaise), mon prof et moi-même. Il était remarquable de constater que quand l’un m’écoutait, pour comprendre l’idée que je cherchais à exprimer, le second fronçait les sourcils en cherchant comment il pourrait s’opposer brutalement à ce que je venais de dire. Le résultat d’un tel comportement, c’est que les élèves chinois ne partagent pas avec leurs professeurs. Ils sont isolés, et leur capacité créative est sabotée.
La bonne communication, ouverte à toute idée tant qu’il ne s’agit pas d’attaques personnelles, va souvent à l’encontre des valeurs chinoises du respect et de l’harmonie. Il en résulte un échange bridé (!) et trop partiel des idées, et de là un blocage des idées créatives. Les Japonais, historiquement tout aussi confucéens que les chinois, se sont pourtant bien accommodés d’une bonne communication dans la démarche scientifique. Cela doit donc être accessible aux chinois aussi. Quand ils se mettront à communiquer comme les américains savent le faire, c’est là qu’il faudra avoir peur de l’innovation chinoise !
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