Cher Aurélien,
J’ai suivi tes derniers articles avec grand intérêt, et ai découvert avec curiosité que l’aspiration était au chinois ce que le voisement était au français. J’attends avec impatience l’arrivée des fricatives.
Pour rester dans la même thématique linguistique, je te propose un court article sur la langue coréenne que j’ai partiellement découverte au cours de mon dernier voyage à Séoul.
Tout d’abord, la langue coréenne sonne bien. Vraiment. Les sons sont agréables à l’oreille (les vélaires expirées y sont beaucoup plus douces), et la phrase est rythmée et mélodique, chargée de sens rien qu’à sa musique. Il n’y a pas de tons en coréens, la prosodie de la phrase n’est plus fixée et varie de nouveau en fonction de l’humeur du locuteur.
Si l’on regarde la structure phonétique du coréen, on découvre que celle-ci est très proche du chinois. Prend aussi en compte que 70% du vocabulaire coréen contemporain est d’origine chinoise, tu comprendras aisément l’origine du terrible accent avec lequel s’expriment les coréens en mandarin, du même acabit que the formidable french accent in English.
Avant de passer à l’analyse de la structure phonétique du coréen, il me semble important d’éclaircir le système d’écriture, ce qui nous sera utile par la suite. Peut-être connais-tu déjà l’origine du système d’écriture coréen ? Laisse-moi te le rappeler. Avant l’avènement de la dynastie Tang en Chine, les coréens n’avaient pas de système d’écriture unifié de leur langue. L’influence des Tang fut considérable en Asie et les Coréens comme les Japonais importèrent les caractères chinois. S’ensuivit une langue écrite à l’origine totalement distincte de la langue orale. Au fur et à mesure des siècles, un mix se produisit, l’écrit influença d’abord l’oral par un apport lexical massif, puis l’oral influença l’écrit quand le roi Séjong adopta au XVème siècle une transcription phonétique des termes coréens. L’écrit coréen devint alors composé de caractères chinois tels qu’on les connait, et de caractères coréens à peu près phonétiques. La coexistence perdura jusqu’à très peu, et ce n’est que durant les dernières décennies que les coréens abandonnèrent finalement les caractères chinois.
Il faut savoir qu’en remplaçant les caractères chinois par les caractères coréens, les coréens conservèrent la structure morphémique du chinois. S’il existe une lettre correspondant à chaque consonne (ㅂpour b, ㄷpour t, ㄱpour n, ㅁpour m, etc.) et à chaque voyelle (ㅗ pour o, ㅏpour a, ㅡ pour eu, ㅜ pour ou, etc.), l’écriture ne se fait pas en juxtaposant les lettres à l’horizontal, les unes derrière les autres, mais en les groupant par unité syllabique porteuse de sens. Un exemple simple, le thé qui se dit tcha en chinois et se prononce pareil en coréen, s’écrit 차. C’est là que se situe tout le génie de l’écriture coréenne. Ecriture par ailleurs extrêmement simple dont l’ensemble des lettres se mémorise en moins de deux heures, à condition de comprendre la phonétique qui va derrière. 10 voyelles et 14 consonnes qui permettent de construire un nombre impressionnant de caractères coréens.
Revenons à la structure phonétique du coréen, commençons par les consonnes, et allons directement aux occlusives, car c’est le sujet chaud du moment. Si nous procédons par paires d’occlusives voisées et sourdes en français, par paire d’occlusives expirées et non expirées en chinois, le coréen fonctionne lui par triplet. Il suffit de mêler le voisement à l’expiration pour produire un triplet, voire un quadruplet, d’occlusives me diras-tu. Oui, mais non, car le coréen, pas plus que le chinois, ne se concentre sur le voisement des consonnes. Les occlusives coréennes se distinguent en version faible (version non voisée non expirée: ㅂ,ㄱ,ㄷ), en version expirée (non voisée expirée: ㅍ,ㅋ,ㅌ) et en version forte (tout aussi peu voisée et expirée que la version faible, mais avec une accentuation: ㅃ,ㄲ,ㄸ ). Une nouvelle distinction apparait au sein de la famille des occlusives non voisées non expirées. J’ai demandé aux français comment comprendre la différence entre les occlusives faibles et fortes, ils ne savaient pas. J’ai demandé aux coréennes, elles m’ont dit que c’était comparable à l’accentuation des syllabes en anglais. Je sens malgré tout que quelque chose d’autre se cache derrière, je continue à investiguer.
Continuons sur les fricatives. Les deux couples (zh,ch) et (j,q) du chinois se retrouvent confondus dans un même couple en coréen : (ㅈ,ㅊ). Tu comprendras aisément la logique de la chose si tu repenses à l’analyse que tu avais faite sur les associations possibles entre consonnes et voyelles en pinyin. Les s et x du pinyin chinois sont aussi agrégés en une même consonne ㅅ pour la même raison. Les prononciations deㅈ, ㅊ etㅅ dépendent donc de la voyelle qui les suit. On en serait presque étonné à trop se rapporter au pinyin du chinois qui est une transcription phonétique exacte. Pourtant c’est aussi le cas en français comme en anglais. Girafe et gâteau, this and thank, suffiront à t’en convaincre.
Continuons la comparaison avec le français. Au grand dam de John, le coréen est aussi une langue à liaisons. Un noiseau, deux zoiseaux, trois zoiseaux, qua troiseaux, ça marche pareil en coréen. Les consonnes finales des syllabes se prononcent différemment en fonction de ce qui suit. Si les caractères sont fixés, la prononciation ne l’est pas. La simple mémorisation de l’alphabet coréen se révèle donc insuffisante pour lire correctement une phrase coréenne, il faut aussi apprendre les règles de liaison. Mais pour un français, cela n’a rien d’effrayant.
Bref, l’écriture est aisée, la prononciation pas trop tordue, le coréen est un outil de communication plus abouti que le chinois. Un problème de taille demeure, et il s’appelle grammaire. As-tu déjà demandé à une coréenne comment dire bonjour ? Elle aura répondu que ça dépend du degré de politesse que tu veux mettre dedans. La formule la plus simple Annyang correspond à un « salut » français, très familier et que tu ne peux dire qu’aux amis de même âge que toi. Pour un bonjour plus respectueux il faudra dire annyang haseyo. Ça fait déjà 5 syllabes. Et c’est pareil pour tout. Il existe 43 façons d’exprimer une même chose, mais des degrés de politesse différents allongent la phrase de manière assez terrifiante, même pour les idées les plus simples. C’est assez déroutant pour le débutant car s’il ne saisit pas la structure grammaticale de la phrase et les particules de politesse, il est incapable de saisir l’élément porteur de sens. Comme en français il est difficile de saisir la similitude de sens entre (je suis beau/elle est belle) en raison des variations des pronoms/verbes/adjectifs en fonction de la personne, la phrase coréenne change radicalement en fonction des degrés de politesse. Tout ça pour dire que l’apprentissage du coréen passe par un apprentissage rigoureux et intensif de la grammaire. La grammaire coréenne est LA difficulté du coréen.
En dehors des problèmes des degrés de politesse, il faudrait évoquer deux autres points dans la structure particulière de la phrase coréenne : l’ordre des mots, et la structure agglutinante. Les verbes sont placés à la fin de la phrase, ce qui peut être assez déroutants, on l’attend un peu trop impatiemment comme en allemand dès lors qu’on utilise un verbe modal ou un participe passé. Et les mots sont modifiés par l’ajout de préfixe/suffixe en tout genre qui vont signifier les fonctions, négations, temps, degré de politesse, et j’en oublie certainement. Bref, la grammaire c’est l’enfer du coréen, du moins dans les premières étapes de l’apprentissage. Tout le monde compare la grammaire coréenne à la grammaire japonaise, un mur de difficulté durant la première phase d’apprentissage, mais une difficulté qui s’amenuise au fur et à mesure que l’on progresse. Tout l’inverse du chinois donc qui présente une structure de phrase élémentaire dans sa forme basique, mais qui devient horriblement compliqué lorsque l’on s’enfonce dans les relations de logique compliquée et la langue écrite, qui emprunte aux chinois classiques de nombreuses formes grammaticales absconses.
Tu l’auras sans doute déjà senti, la langue coréenne m’attire énormément. J’ai très envie de m’y mettre sérieusement. Cela risque d’être difficile durant les mois prochains, il faut que j’essaie de finir ma recherche d’abord, mais ensuite pourquoi pas, tu m'accompagnes?
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