La pensée unique en Chine, c’est une réalité. Les médias – télés, radios, journaux – sont contrôlés par l’état. Les informations restent très factuelles et les rares colonnes d’opinion sont là pour supporter l’action gouvernementale.
Le gouvernement, c’est le comité dirigeant de cette incroyablement vaste organisation qu’est le parti. Le parti, c’est aussi l’administration – centrale, et provinciale – et les entreprises d’état. Les banques, paramètre important de l’action entrepreneuriale, sont toutes détenues par l’état-parti. Dans ces conditions, un jeune chinois à la recherche du succès dans sa carrière professionnelle a tout intérêt à suivre la voie que le parti a tracé pour lui.
Les étudiants de Tsinghua forment une partie des futures élites de la république populaire de Chine. Ils sont donc des éléments clés, et l’organisation est bien rodée pour les garder dans le bon chemin. C’est par défaut – et non par choix personnel – qu’ils accomplissent les différentes étapes qui les mèneront jusqu’au statut de membre du parti. Beaucoup de rassemblements, de séances de discussions, de rapports à écrire, etc. Si les rapports ne sont pas dans la bonne ligne, on vous demande de le corriger, et cela se passe bien. Petit à petit, vous devenez formaté, sans vous en rendre compte, 不知不觉. Et vous atteignez finalement le stage de 觉悟, la compréhension. Souvenez-vous, c’était le cas de mon camarade Ye Changliu, l’an dernière.
Mais parfois certains étudiants ne manifestent pas un intérêt suffisant – ou pire, revendiquent une certaine opposition. A partir de ce moment là, c’est l’ensemble du système qui se retourne contre eux, et ils se retrouvent particulièrement isolés.
En tant qu’étudiant étranger, j’ai évité cette voie d’intégration. J’ai cependant pu ressentir lors d’une occasion particulière l’incroyable pression que l’on peut ressentir lorsque l’on supporte une idée, même intérieurement, seul et contre tous.
Témoignage (datant de septembre dernier) :
......
Tsinghua, une université qui a décidé que la meilleure stratégie pour affirmer sa position d’université de premier rang mondial était encore de le répéter haut et fort, à soi-même comme aux observateurs extérieurs, jusqu’à ce que chacun soit intimement persuadé de la chose.
Cette semaine des experts internationaux, venu des Etats-Unis, d’Europe et du Japon, rencontraient une sélection d’étudiants doctorants en provenance des deux départements de génie nucléaire de l’université. La sélection d’étudiants s’était faite sur la base d’un volontariat à la chinoise, en fonction des capacités à dialoguer en Anglais. J’avais aussi été convié, bien que non doctorant.
Les experts internationaux, impliqués dans les domaines académiques et de la recherche, avait été convié par le président de l’université pour, selon leurs propres mots, établir un rapport qui permettrait de prendre les mesures nécessaires pour faire progresser nos deux départements. Progresser pour rejoindre le rang des universités mondiales les plus brillantes.
Les experts internationaux étaient installés autour d’une table ovale, les élèves étaient placés tout autour de la salle, le long des murs. Une caméra pointait sur les élèves qui prenaient la parole.
Les questions posées furent globalement les suivantes :
- 1) Que voulez-vous faire après votre doctorat ? Les cours que vous avez choisis correspondent-ils à cet objectif ?
- 2) La coopération entre les deux départements proposant des majeurs de génie nucléaire est-elle bonne ?
- 3) La communication entre les étudiants est-elle bonne ? Apprenez-vous beaucoup des interactions mutuelles entre étudiants ?
- 4) Participez-vous régulièrement à des séminaires, des colloques ? Dans votre direction de recherche, comme dans d’autres ?
- 5) Avez-vous des problèmes dans votre cursus ? Comment votre cursus pourrait-il être amélioré ? Que pensez-vous que nous puissions recommander au président de l’université pour améliorer vos études ?
- 6) Pourquoi aussi peu d’étudiantes féminines ?
- 7) Est-ce une grande difficulté de publier un article de niveau SCI ? Avez-vous des cours vous apprenant à rédiger un article scientifique en Anglais ? Les meilleures parutions chinoises sont-elles au niveau des parutions SCI en anglais ?
- 8) Y a-t-il des élèves étrangers dans le département ? Voyez-vous en eux des compétiteurs au sein de votre université ? Etes-vous contents de les accueillir ?
- 9) Espérez-vous travailler en Chine ou à l’étranger dans votre future carrière ?
Je me concentrerai sur les réponses aux questions 3, 5 et 8.
A la question 3, tous répondirent : « Oui, la communication est excellente, nous apprenons beaucoup des autres étudiants ». Mais ils se trahirent en s’empressant d’ajouter : « Nous avons des réunions de groupe toutes les semaines ». L’essentiel de la communication scientifique est concentrée dans une réunion de groupe qui a lieu une fois par semaine. Le reste du temps, il n’y a pas de partage. Et pour avoir assisté à des meetings de groupe, je pense que même dans ces moments là, il n’y a pas beaucoup d’apprentissage mutuel.
A la question 5 : Rien à améliorer. Tout est parfait Les experts voulaient vraiment des réponses à cette question, et l’ont donc répété à maintes reprises. Ce qu’ils finirent par obtenir, c’est l’intervention de Yaoli (un des étudiants de mon professeur) : « Pourquoi voulez-vous que nous ayons des problèmes ou des complaintes ? Si nous en avions, nous en ferions tout de suite part à l’université, et les problèmes seraient tout de suite résolus. Là il n’y a pas de problème, c’est Tsinghua ici, le best of the best ! »
A la question 8, il a malheureusement fallu que j’entre en scène. Alors que les experts me posaient des questions, je sentais sur moi le regard d’une trentaine de chinois persuadés que leur université était au tout premier rang mondial. « Pourquoi êtes-vous venus ici ? Comment l’université a-t-elle jugé votre niveau en vous acceptant ? Si vous deviez faire votre PhD, le feriez-vous à Tsinghua ? Non, où alors, et pourquoi ? » Imaginez à quel point j’étais embarrassé. En répondant que j’étais venu à Tsinghua avec la principale motivation de rechercher un environnement chinois, sans insister sur le niveau d’excellence de Tsinghua qu’ils revendiquent sur la scène internationale, je sentais que je trahissais le groupe, la caméra, mon prof par étudiant interposé. Terriblement mal à l’aise, j’ai demandé à ne pas répondre pourquoi je pensais qu’il serait plus intéressant de faire un PhD en France ou aux Etats-Unis.
Avant de quitter la salle, les experts demandèrent au groupe s’il y avait des questions. « Comment rédigerez-vous votre rapport ? » demanda un étudiant. Un des experts répondit que le plan initial était d’utiliser les témoignages de cette discussion avec les étudiants pour rédiger une série de recommandations au président de l’université. Mais malheureusement devant la pauvreté des témoignages, ils allaient devoir revoir leur stratégie.
Zhang Yaoli qui avait affirmé que bien sur aucun élève n’avait de complainte ou requête est sorti de la salle en affirmant : « Ces experts, ce sont vraiment des branleurs, ils sont venu sans rien avoir préparé, ça n’a servi à rien ! »
Oui, ça n’a servi à rien.